Une jeune assistante juridique ayant vu son contrat de travail brutalement rompu lors de sa période d’essai à la suite de retards répétés, a assigné devant le TGI de Paris le 31 janvier 2012, la SNCF en réparation du préjudice subi, et réclame à la société ferroviaire 15 000 euros de préjudice moral et 30 000 euros de préjudice financier, estimant que la SNCF a failli à son obligation contractuelle de ponctualité.
Si le tribunal venait à lui donner raison, cette décision pourrait ouvrir la voie à une jurisprudence « SNCF ». Pour le savoir, il faudra attendre le 27 mars prochain, la décision ayant été mise en délibéré.
Notons que cette affaire ne constitue pas un cas isolé, et que la SNCF a du à plusieurs reprises faire face aux plaintes d’usagers mécontents.
Le 04/10/1994 la CA de Paris condamnait la SNCF pour des retards répétés sur une même ligne de banlieue.
Le 22/09/2010, dans un arrêt très médiatisé, la CA de Paris avait condamnée la SNCF à indemniser le préjudice d’un voyageur n’ayant pu remplir ses obligations professionnelles. Avocat à Melun, ce dernier n’avait pu plaider une affaire devant le Tribunal administratif de Nîmes, ratant sa correspondance à Paris suite à un problème d’aiguillage.
L’intérêt de cet arrêt réside dans le fait que la SNCF est condamnée à raison d’un retard unique.
Pour engager la responsabilité de la SNCF la Cour se fonde à la fois sur l’obligation générale de ponctualité mise à sa charge dans le contrat de transport, et sur l’impératif de ponctualité figurant à l’article 1er du cahier des charges de la SNCF issu d’un Décret de 1983.
Elle en déduit que l’obligation de ponctualité à la charge de la Cie nationale étant une obligation de résultat, la seule constatation du retard suffit à engager la responsabilité du débiteur sur le fondement de l’art 1147 C Civ. Toute référence à la faute étant inopportune en la matière.
A l’occasion, la Cour d’Appel réaffirme que la SNCF est débitrice d’une obligation de ponctualité « tant pour les trains de grande ligne que pour les trains de banlieue »
En pareille circonstance, seule la force majeure ou la faute exclusive de la victime est de nature à exonérer le débiteur de sa responsabilité.
En l’espèce, la cour à considéré que le délai prévu par l’usager (17 mn) pour effectuer sa correspondance dans la même gare, ne pouvait être regardé comme une négligence fautive susceptible d’exonérer la SNCF. Dès lors, et en l’absence d’un cas de force majeure, elle condamne donc la SNCF à réparer l’intégralité du préjudice subi par le voyageur, celui-ci comprenant la perte subi, le manque à gagner et le préjudice moral (stress, énervement, …)
Le transporteur est condamné au paiement de :
-         1 000 €uros au titre de la rémunération convenue pour la plaidoirie qui n’a pas eu lieu ;
-         11,12 €uros au titre du billet aller-retour Paris-Melun ;
-         825 €uros au titre du manque à gagner de la SELARL en fonction du taux horaire ;
-         1 000 €uros au titre de la perte de crédibilité vis-à -vis du client ;
-         500 €uros au titre du préjudice moral subi par l’avocat du fait du stress et de l’énervement.
La SNCF décide de ne pas se pourvoir en cassation.
Dans cet arrêt, la Cour confirme que la SNCF est tenue de prendre en charge les préjudices subis par les voyageurs, dès lors que ceux-ci sont chiffrés et démontrés.
Dans un arrêt du 28/04/2011, la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation est venue rappeler le principe énoncé à l’article 1150 du code civil et décide que la SNCF n’est tenue que du dommage prévu ou prévisible lors de la conclusion du contrat de transport.
Le 29/07/2011, une acupunctrice lyonnaise, obtenait du Tribunal d’Instance de Paris environ 900 euros en réparation de son préjudice en raison du retard d’un train lui ayant fait manqué une dizaine de rendez-vous professionnels dans un grand Hôtel parisien. Faute d’avoir pu justifier l’intégralité du préjudice subi, l’acupunctrice a perçu une somme ne couvrant pas totalement les honoraires qu’elle aurait dus percevoir.
Un commentateur de l’arrêt de la CA du 22/09/2010, s’interrogeait sur le montant de l’indemnisation si la victime avait été un enseignant n’ayant pu assuré un cours à ses étudiant par suite du retard de son train.
La juridiction de proximité du TI de Paris 14ème (02/11/2011) lui a donné une réponse en condamnant la SNCF à indemniser un professeur de droit au titre du préjudice moral découlant du stress et de l’énervement lié retard. Il obtint le remboursement du billet aller-retour, 200 € de DI au titre du préjudice moral et 200 € au titre de l’article 700 du NCPC.
Faute de pouvoir démontrer et chiffrer, l’atteinte à sa réputation et le manque à gagner, il ne put obtenir réparation du préjudice financier.
Quoi qu’il en soit, cette affaire entache un peu plus l’image de la SNCF et dans un contexte de crise, les usagers prennent conscience qu’ils peuvent obtenir d’avantage que le simple remboursement du billet.
Si l’évaluation du préjudice moral, laissé à l’appréciation souveraine des juges, ne semble pas poser problème, il en va différemment du préjudice financier qui suppose d’en rapporter la preuve matérielle.
S’il est établi que le préjudice moral est constitué de l’énervement et du stress liés au désagrément du retard, force est de constater que dans ces différentes affaires les victimes des retards occupaient tous des professions indépendantes.
Qu’en est-il pour un salarié ?
Le TGI de Paris dira le 27 mars prochain, si la SNCF doit indemniser cette assistante juridique qui assure avoir perdu son emploi en raison des retards répétés de son train.
Motif invoqué par l'employeur : "Les nombreux retards accumulés pendant votre période d'essai en raison de votre domicile très éloigné de votre lieu de travail perturbent le fonctionnement de l'entreprise. La persistance de ces retards y compris pendant la période de renouvellement de votre période d'essai me contraint donc à prendre cette décision".
Pour s’en exonérer la SNCF devra apporter la preuve que ces retards relève de la force majeure. En outre, il paraît peu probable de retenir une faute de la victime dans la mesure où, devant ces retards répétés, cette dernière avait pris soin d’emprunter le train précédent, afin de prendre son service une heure avant l’horaire convenu. Précaution vaine. Las de ces fréquents désagréments, l’employeur décide de mettre un terme à sa période d’essai.
On voit bien en ces temps de crise que les conséquences du défaut de ponctualité des trains de la SNCF peuvent avoir de graves répercutions sur la vie professionnelle d’un salarié.
La SNCF exciperait-elle d’un défaut de prévisibilité du dommage au moment de la conclusion du contrat, qu’il pourrait lui être objecté que le défaut de ponctualité des trains circulants le matin aux horaires de bureaux peut avoir des répercussions sur la vie professionnelle des usagers, et ce à plus forte raisons lorsque les victimes se trouvent dans un rapport hiérarchique avec leurs employeurs. Les sanctions pouvant en découler n’apparaissent donc pas comme totalement imprévisibles. L’éventuel dommage étant d’autant moins imprévisible qu’il découle de retards répétés.
S’agissant du préjudice moral constitué de l’énervement et du stress lié à la répétition des retards, celui-ci ne saurait être moindre que celui subi par un avocat ou un professeur de droit. Gageons que le rapport hiérarchique existant entre la victime et son employeur fera, bien au contraire, monter le stress d’un cran supplémentaire.
La responsabilité de la SNCF étant engagé du simple fait du retard de ses trains (obligation de résultat oblige !), et en l’absence de cas de force majeure, la discussion portera donc sur l’étendu de l’indemnisation. La SNCF peut-elle raisonnablement prévoir que le retard répété des trains régulièrement empruntés par les usagers pour se rendre à leur travail est susceptible d’entrainer des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement ? Il nous est raisonnablement permis d’y croire.