Il s’agit là d’un sujet des plus délicats parce qu’il touche les fondements même de la République Française. En effet, la loi du 9 décembre 1905 consacre la séparation des Eglises et de l’Etat en faisant de la France une République laïque et en garantissant le respect par la République de la liberté de conscience. De ce fait, aucun culte ne peut ni être salarié, ni être subventionné par les autorités de l’Etat. D’autre part, la doctrine fait le constat suivant : la neutralité s’impose de façon presque égale aux agents publics et aux usagers du service public.
D’où l’idée selon laquelle la neutralité peut être élevée au rang de quatrième loi du service public, aux côtés de la continuité, de la mutabilité (adaptabilité) et de l’égalité, dégagées par Louis Rolland dans les années trente. A partir de là , il s’agit d’envisager la question suivante : de quelle manière se traduit la neutralité religieuse de l’Etat dans l’accomplissement du service public ?
Il faut revenir en arrière pour comprendre la situation actuelle :
La période 2003-2004 a été marquée par un grand débat, au sein du corps social, sur la liberté religieuse, la neutralité de l’Etat et le principe de non discrimination, en particulier dans les services publics comme l’école.
Ce débat n’a pas épargné l’hôpital. On trouve d’ailleurs de nombreux textes en la matière (article L.6112-2 du Code de la Santé Publique sur l’égalité de traitement des patients ; l’art. R.112-46 du CSP qui rappelle que les patients doivent être mis en mesure de participer à l’exercice de leur culte ; la Charte du patient hospitalisé, qui précise que l’établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies ; l’arrêté du 7 janvier 1997 relatif au contenu du livret d’accueil des établissements de santé qui doit comporter notamment des indications sur les différents cultes ; l’art. R.1112-68 du CSP relatifs aux rites mortuaires ; Charte de la laïcité dans les services publics… etc).
Mais d’un autre côté, les règles de neutralité doivent demeurées compatibles avec une bonne dispensation des soins et l’expression des convictions religieuses ne doit pas porter atteinte ni à la qualité des soins et aux règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches, ni au fonctionnement régulier des services.
L’obligation de neutralité du service public des fonctionnaires et agents publics (art. L.6143-7 CSP), est posée depuis un arrêt du Conseil d’Etat, Dlle Pasteau du 8 décembre 1948. Elle a été rappelée à l’occasion du port du voile par certains agents hospitaliers (TA Paris, Mme E., 17 octobre 2002 ; CAA Lyon, Melle Nadjet Ben Abdalla, 27 novembre 2003).
En ce qui concerne le libre choix du praticien, l’article L.1110-8 du CSP dispose que le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé constitue un droit fondamental. Mais il convient de rappeler que le malade est soigné par une équipe et non par un praticien unique et que le libre choix exercé par le malade ne doit pas perturber la dispensation des soins, compromettre les exigences sanitaires, voire créer des désordres persistants. Avec l’accord du chef de service hospitalier, le directeur peut prendre toutes les mesures appropriées pouvant aller éventuellement jusqu’au prononcé de la sortie de l’intéressé pour motifs disciplinaires conformément à l’article R.1112-49 du CSP.
En effet, il n’est pas rare que des attitudes intolérables de la part de certains patients, telles que la récusation de praticiens à raison de leur confession, la transformation de couloirs en lieu de prière, la création de cantines parallèles… (Rapport commission Stasi) soit mises à jour.
Il faut cependant veiller, sur une question aussi délicate, à ne pas commettre d’amalgame entre ce qui relève du principe de laïcité et ce qui est étranger à ce concept. La question du refus de soins fait particulièrement débat. Ainsi, la lecture du Lévitique conduit-elle le patient témoin de Jéhovah à refuser un acte transfusionnel. Le principe républicain de laïcité peut-il conduire à priver ces patients de leur droit à la décision de santé ? Poser cette question, c’est encore se demander si une femme peut refuser une interruption de grossesse à raison de convictions spirituelles !
La laïcité doit rester un élément de cohésion et non de division et, donc, permettre de dégager un consensus républicain. C’est dans l’équilibre des principes fondamentaux gouvernant, notamment, le droit de la santé que doit être arbitrée la question de la laïcité à l’hôpital. Si l’atteinte au principe de laïcité est vectrice d’autres atteintes à des principes fondamentaux, comme la non-discrimination par exemple, alors il doit être défendu sans concession. L’arbitrage sera parfois délicat dans la mesure où les droits des malades garantissent aujourd’hui au patient une position centrale dans le système de santé.
Enfin, si le souhait du patient n’est pas exprimé en termes confessionnels notamment, appartient-il à la direction d’un établissement de remettre en cause une volonté exprimée clairement par un patient ?
Par Alexandra Mori pour Information-juridique.com