La Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 11 mai 2010, a refusé d'analyser la participation d'actionnaires français à une class action aux États-Unis contre Vivendi en un abus de forum shopping. Cet arrêt permet d'une part de nous interroger sur les class-actions vues du droit français, et d'autre part d'analyser au cas d'espèce, la notion d'abus de forum shopping.
En France, la class action comme on l'entend en common law n'a toujours pas pu trouver sa place bien que de vaines tentatives ait été mises en œuvre[1]. En effet, cette action de groupe trouble des principes essentiels de notre droit tels que la liberté d'agir en justice ou encore le principe selon lequel « nul ne plaide par procureur ».
En l'occurrence, Vivendi développait l'argument selon lequel la class action était contraire au principe constitutionnel de liberté individuelle, puisqu'elle ne permet pas à l'intéressé de participer en toute connaissance de cause à l'action ou de s'en extraire à tout moment pour conduire personnellement la défense de ses intérêts. Or, encore faut-il savoir si l'action de classe aux Etats-Unis était avec déclaration d'opt-in ou d'opt-out.
Mais à terme, le risque est grand de devoir se détourner systématiquement du juge français pour obtenir gain de cause auprès du juge d'outre-Atlantique. A défaut de position claire de la Cour Suprême sur ce point, il y a fort à parier qu'elle ne marquera pas sa désapprobation.
Toutefois, la Cour d'appel de Paris rappelle dans cet arrêt que « le droit d’ester en justice est un droit fondamental dont l’exercice ne peut dégénérer en abus que s’il est mis en œuvre avec une légèreté blâmable, ou obéit à une intention malicieuse ou malveillante ».
D'où l'argumentation soulevée par Vivendi sur l'abus de forum shopping.
Vivendi pour convaincre le juge français de l'intention malveillante des actionnaires minoritaires français de se soumettre à une juridiction américaine, développe le concept d'abus de forum shopping [2]. Il s'agit en effet d'un stratagème pour échapper à l'application d'une loi, consistant, pour les plaideurs à porter leur litige devant une juridiction étrangère qui ne sera pas obliger d'appliquer cette loi.
Vivendi se place alors sous deux angles d'attaque :
En droit international privé, le juge compétent notamment au regard du Règlement 44/2001 « dit Bruxelles 1 » peut être la juridiction du lieu du siège de la société soit du lieu du dommage soit du lieu de production du fait générateur.
Or, le juge américain dans son action de certification de classe a débattu de cet aspect. En common law, cette action est appelée anti-suit injonction. Le juge par cette action procède à une sorte de certification par laquelle il acquière ou non la conviction que l'action de classe est le moyen le plus efficace et juste pour résoudre la question qui lui est posée et ainsi admettre les actionnaires français comme membre de la classe.
En l'espèce, le juge américain a relevé des liens sérieux entre le litige et le for américain :
–                   actions acquises cotées à la bourse de New-York
–                   infractions à la réglementation boursière de l'état de New-York
–                   dirigeants domiciliés à New-York
Il a alors admis la recevabilité et la participation des actionnaires français à la classe.
Selon Vivendi, les actionnaires minoritaires français commettraient un abus de forum shopping en allant rechercher aux États-Unis une décision en sachant qu'elle ne pourra pas être reconnue en France.
Pour appréhender l'affaire au regard du droit international, il faut rappeler qu'on ne situe pas au stade de l'exequatur, qui donne force exécutoire à une décision rendue par une juridiction étrangère. En l'occurrence, le juge américain n'a encore pris aucune décision sur le fond de l'affaire. Ainsi, Vivendi argue que le jugement américain de pourra pas pouvoir acquérir l'exéquatur en France.
Or, le juge français ne peut refuser de reconnaître une décision de justice étrangère qu'en se fondant sur une appréciation concrète de la contrariété de cette décision avec l'ordre public français. Comment procéder à une appréciation CONCRETE en l'absence de jugement au fond ?
Par conséquent, le juge a débouté Vivendi de sa demande de reconnaissance d'un abus de droit d'agir en justice sur ce second point mais encore faut-il que le juge américain admette de condamner Vivendi à des dommages et intérêts au profit des actionnaires minoritaires français. Et sur ce point, la question reste en suspens...
En conclusion, la Cour d'appel a pu apprécier l'habileté procédurale des actionnaires français. Toutefois, entre habileté et fraude il n'y a qu'un pas qui semble-t-il au cas d'espèce n'a pas été franchi.
http://www.action-collective.com/vivendi/action-8.htm
[1]Rép.min. Ameline, JOAN Q 13 avril 2010, p. 4229
[2]D. Cohen, Contentieux d'affaires et abus de forum shopping.